Le méthylome, nouvelle compréhension (épi)génétique des cancers
Mieux comprendre et traiter le cancer nécessite de décrypter le fonctionnement de la maladie – ou plutôt de ces maladies, car elle peut prendre plusieurs formes.
Une façon de se développer pleinement consiste à examiner l’ADN. Toutes nos cellules (y compris les cellules cancéreuses) ont une molécule d’ADN dans leur noyau : une sorte de long texte dans lequel les gènes et toutes les informations génétiques qui nous aident à nous définir sont liés les uns aux autres.
Les tumeurs surviennent à la suite de la modification de ce texte génétique (on parle de mutations dans sa « séquence ») dans la cellule, qui peuvent être particulièrement massives et conduire à sa multiplication incontrôlée. Une tumeur se développe alors et peut envahir l’organisme au fur et à mesure de sa croissance et de son évolution.
Les progrès récents des techniques de séquençage « haut débit » (permettant la lecture rapide du texte génétique) ont permis d’identifier les changements à l’origine de nombreux cancers.
Désormais, il est possible de répertorier le « catalogue » de mutations d’une tumeur afin d’établir sa carte d’identité : un atout considérable pour mieux appréhender la nature du cancer en question, ses origines, ses rouages internes et son pronostic. Or une meilleure compréhension de la maladie contribue au développement de traitements plus efficaces.
Un second niveau d’information génétique
Mais l’information génétique ne se trouve pas seulement dans le texte incrusté dans notre ADN… Un deuxième niveau de codage, dit « épigénétique », a été identifié, dont la recherche s’est développée ces dernières décennies. L’épigénétique est à la génétique ce que la ponctuation est à une phrase : le sens d’une phrase variera selon la présence et la position de virgules, tirets ou parenthèses…
Des modifications épigénétiques (ponctuation) de l’ADN (phrases) peuvent ainsi influencer le message encodé dans l’ADN et la manière dont il s’exprime.
D’un point de vue chimique, nos « virgules génétiques » peuvent prendre la forme de l’ajout (ou de la suppression) de groupes d’atomes spécifiques – dans ce cas, le méthyle (CH3). La lecture de ce « code » épigénétique permet d’identifier un autre type de preuve d’identité : le méthylome.
Il y a plusieurs niveaux d’information dans l’ADN : le texte génétique (écrit avec les quatre « lettres » A, T, C et G), qui constitue le génome, et les modifications épigénétiques (notamment les méthylations) qui viennent moduler le message initial. NIH, CC BY-SA
Là encore, son étude fine et sa comparaison avec des méthylomes de cellules saines et tumorales sont riches en informations : si la lecture de la séquence (du texte) génétique renseigne sur les mécanismes de croissance exubérante de la cellule cancéreuse, celle du méthylome précise la nature du cancer et son origine. In fine, le décryptage de ces deux niveaux de données complémentaires contribue à mieux caractériser le cancer et à choisir les traitements anticancéreux les plus adaptés.
Des applications pionnières en neuro-oncologie
Alors que les technologies de séquençage à haut débit ont commencé à émerger à la fin du 20e siècle, la recherche sur le méthylome appartient clairement au 21e siècle.
En raison de son coût et de l’équipement nécessaire pour cartographier la ponctuation de l’ADN, la technique n’est actuellement mise en œuvre que dans certains centres d’oncologie médicale spécialisés.
l a été utilisé avec le plus de succès en clinique, notamment en tant que pionnier dans le domaine de la neuro-oncologie (tumeurs du cerveau et de la colonne vertébrale) – en particulier dans les cas où le diagnostic est difficile. Depuis 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande également que ses recherches soient utilisées pour diagnostiquer de nombreuses tumeurs cérébrales.
Si d’autres types de cancers (sarcomes, qui se développent à partir des os, des muscles, des graisses, etc.) commencent également à être étudiés à travers le méthylome, les résultats sont encore préliminaires.
L’analyse des données du méthylome repose sur la bioinformatique et nécessite le développement d’algorithmes d’intelligence artificielle (IA) (formules de calcul). L’idée de base est simple : il faut regrouper des tumeurs avec la même ponctuation (et donc la même variation au niveau épigénétique), comme un jeu de 7 familles où le joueur essaie de regrouper des individus d’une même famille.
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Une large base de données développée par une équipe de l’université d’Heidelberg rassemble déjà les profils de méthylation de presque 100 000 tumeurs cérébrales, classées en 80 familles ou sous-familles.
En libre accès, elle permet l’envoi de nouvelles données qui sont analysées en ligne gratuitement. L’avantage est double puisque d’une part le logiciel propose au médecin pathologiste un classement de la tumeur envoyée, et l’équipe d’Heidelberg enrichit sa base de données, rendant les algorithmes d’IA plus performants – de façon générale, plus un algorithme analyse de tumeurs, plus les classements qu’il propose seront fiables. Cette forme de projet collaboratif international bénéficie ainsi au plus grand nombre : patients, médecins et chercheurs.
Dans certains cas, la machine peut se révéler meilleure que le médecin pathologiste qui, de façon traditionnelle, examine les cellules cancéreuses au microscope. Mais si la machine peut parfois dépasser l’humain, elle peut aussi être prise en défaut face à des tumeurs très rares qu’elle n’aurait pas (ou peu) rencontrées : le risque est alors qu’elle ne réussisse pas à classer la tumeur ou, plus grave, la classe dans une mauvaise famille. C’est pourquoi tout diagnostic est vérifié par un médecin pathologiste, qui réalise une synthèse de son diagnostic microscopique, des résultats du méthylome et des mutations détectées à la lecture du texte génétique.
Tout diagnostic final est ainsi dit « intégré » car il prend en compte les données microscopiques, génétiques et épigénétiques. Plus fiable, il permet à l’oncologue de choisir au mieux les traitements.
Malgré les limites de l’IA, l’analyse du méthylome représente bien un progrès considérable dans le diagnostic des tumeurs cérébrales, notamment de l’enfant – chez qui elles sont beaucoup plus variées que chez l’adulte. En France, les Centres hospitalo-universitaires (CHU) référents en neuro-oncologie s’équipent progressivement afin que, dans les années à venir, une carte d’identité épigénétique puisse être établie pour chaque tumeur cérébrale (en plus de la carte d’identité génétique déjà réalisée).
Une technique qui va encore gagner en puissance
Contrairement au texte génétique qui est fixé littéralement dans l’œuf, dès notre conception, et est très complexe à modifier, l’information épigénétique est plus « modulable ». Certains traitements appelés « épidrogues » peuvent ainsi changer la ponctuation de l’ADN et contribuent à freiner l’évolution du cancer. Si la recherche à leur sujet est toujours en cours pour comprendre leur impact global sur le corps, ils pourraient être administrés en complément des traitements conventionnels (radiothérapie et chimiothérapie).
En oncologie, la notion de « médecine personnalisée » ou « médecine de précision » (traitements sur mesure adaptés à la personne et spécifiques du type de cancer) est sur toutes les lèvres. En effet, les chimiothérapies très générales ne sont pas efficaces chez tous les patients et touchent aussi les tissus sains, y provoquant de nombreux effets indésirables. Choisir des médicaments à partir des caractéristiques génétiques et épigénétiques du cancer donne l’espoir de voir apparaître un meilleur contrôle de la maladie et d’épargner, dans une certaine mesure, les tissus sains (avec des « thérapies ciblées »).
Ainsi, le méthylome semble avoir de beaux jours devant lui. Même si la ponctuation n’apparaît pas, au premier abord, essentielle à une phrase, elle est indispensable à la lecture d’un texte et à sa bonne compréhension. On sait aujourd’hui que le cancer est une maladie génétique et épigénétique et que les virgules comptent autant que les consonnes et les voyelles.